Aux premiers jours de la vie sans vie du confinement, on n’avait rien décidé. La seule certitude que l’on avait, c’était l’envie de relire Proust, de retrouver le temps pour relire La recherche du temps perdu. Et cette relecture s’est accompagnée d’un travail d’écriture motivé par la nécessité d’aller au plus près de la crise qui soudain nous a submergée, d’oser s’avancer au front de l’info pour ne pas rester dans l’effroi.
Nous voici désormais dans le temps entre, et pourtant, pour l’instant, rien n’a changé, et on éprouve toujours la même oscillation entre enchantement et tristesse. Le dimanche du premier week-end du temps entre, au réveil, on découvre des photographies où deux petites poucettes amies se retrouvent dans l’immense prairie d’un parc à Bruxelles. Assises l’une à côté de l’autre dans l’herbe verte, elles croquent chacune une pomme plus grande que sa bouche, et on les voit marcher main dans la main. Quoi de plus normal, quoi de plus banal que ces images d’enfance? Et cependant elles nous paraissent extraordinaires comme surgies d’un lieu, d’un temps désormais impossibles. Une heure ou deux plus tard, on reçoit un message nous apprenant que le père de l’aimé est mort dans la nuit. Sa respiration, comme celle de tant d’autres personnes âgées, isolées dans les maisons de retraite, l’a quitté.
Envie de printemps, deuil de printemps.
Oscillation entre la vie qui enchante et la mort qui nous laisse sans voix.
Au début de la troisième semaine de vie sans vie, on avait ressenti le besoin de ralentir et de s’arrêter au chevet de ce qui nous arrive. Prendre le temps de penser la tristesse, la vulnérabilité et les funérailles confinées. Ne pas sauter dans l’après et rester présente au présent. Et puis voici que l’urgence et les chiffres affolants nous ont rattrapée, voici que sont arrivées les deux semaines annoncées et la fameuse vague et le pic en France. Voici aussi, et cela on ne pouvait, on ne voulait le prévoir, que le coronavirus s’est approché de nous, nous menaçant au cœur, au petit cœur battant d’une petite-fille qui il y a quelques jours encore trottinait d’un pas vif et chantonnait en poussant la poussette rose de son baby dans une rue de Bruxelles.
Alors on a suspendu son souffle et on a suspendu le temps.