Au cours des deux mois de vie sans vie du confinement, on a vécu sous un printemps radieux d’une exceptionnelle douceur, et cela nous a semblé paradoxal. Le premier jour du temps de la vie avec, le jour où l’on sort à nouveau et comme pour la première fois, il pleut comme il pleut rarement à Marseille. Il pleut sur toute la France, c’est le déluge, un temps d’orage, une tempête.
Aux premiers jours de la vie sans vie du confinement, on n’avait rien décidé. La seule certitude que l’on avait, c’était l’envie de relire Proust, de retrouver le temps pour relire La recherche du temps perdu. Et cette relecture s’est accompagnée d’un travail d’écriture motivé par la nécessité d’aller au plus près de la crise qui soudain nous a submergée, d’oser s’avancer au front de l’info pour ne pas rester dans l’effroi.
Marcel Proust, Le côté de Guermantes. Lors d’un dîner à la caserne de Doncières où le narrateur séjourne auprès de son ami, Robert de Saint-Loup, la conversation porte sur la stratégie guerrière et sur la médecine, sur le génie de la guerre et le génie de la médecine: « Mais alors, est-ce que le génie du chef n’est rien ? Ne fait-il vraiment qu’appliquer des règles ? Ou bien à science égale, y a -t-il des grands généraux comme il y a de grands chirurgiens qui, les éléments fournis par deux états maladifs étant les mêmes au point de vue matériel, sentent pourtant à un rien, peut-être fait de leur expérience, mais interprété, que dans tel cas ils ont plutôt à faire ceci, dans tel cas plutôt à faire cela, que dans tel cas, il convient plutôt d’opérer, dans tel cas de s’abstenir? … c’est encore ainsi en art militaire. Dans une situation donnée, il y aura quatre plans qui s’imposent et entre lesquels le général a pu choisir, comme une maladie suivre diverses évolutions auxquelles le médecin doit s’attendre. Et là encore la faiblesse et la grandeur humaine sont des causes nouvelles d’incertitude. »
Au cours du deuxième week-end du temps entre, alors qu’on vient d’écrire un texte à propos de l’importance de la voix en ces temps de dématérialisation extrême, et que l’on continue la lecture de Proust, on s’arrête à un passage extraordinaire à propos de la voix au téléphone dans Le Côté de Guermantes. Le narrateur séjourne à la caserne de Doncières auprès de son ami Robert de Saint-Loup qui est apparenté aux Guermantes. Ce séjour donne lieu à des pages étonnantes à propos de l’art de la guerre et des stratégies communes à la guerre et à la médecine auxquelles on reviendra plus tard. Mais pour l’heure, on s’arrête à ces quelques pages que Proust consacre à la voix au téléphone qui donnent lieu à une réflexion à propos de la voix, de l’absence, de la séparation et de la mort. Le narrateur appelle sa grand-mère à Paris.