#8 – Deuxième week-end de vie sans vie. Retour vers l’intérieur, la maison et le jardin que l’on n’a pourtant pas quittés. Comment s’en sortir sans sortir ?

29 mars 2020

Lire Proust au temps du coronavirus #8 – 29 mars 2020

En ce début du deuxième week-end de vie sans vie du confinement, on revient aux premiers textes écrits il y a à peine huit jours. Au projet qui n’était pas un projet puisque rien n’en était formulé. En ce début du deuxième week-end de vie sans vie, on décide de prendre le temps. Prendre le temps ? Mais n’a-t-on pas tout le temps depuis le début du confinement ? Et n’aura-t-on pas encore tout le temps pendant plusieurs semaines ? 

Vertige du temps. 

En ce début du deuxième week-end de vie sans vie, on s’arrête à ce qui est apparu sous les premiers textes, et notamment la question des mots, le pouvoir des mots. Car il y eut  d’abord, on s’en souvient, le mot martial guerre, martelé, assené sept fois par le président de la France dans son premier discours du confinement. Depuis ce jour, le mot guerre a pénétré les prises de parole et les discours des journalistes, des soignants et des citoyens, comme cette jeune-femme vue à la télévision, assise seule dans son salon d’une petite ville des Alpes de Haute-Provence, qui dit : « on est en guerre, mais on ne sait pas où est la menace.»  Le mot guerre est encore là, le mot guerre traîne de ci-delà dans les discours, alors même que les hôpitaux du Grand-Est et de l’Île-de-France mènent un combat contre la mort, une bataille pour la vie.

Il y eut ensuite le mot vague. Car la vague est là, elle arrive, elle nous submerge, portant en elle l’idée du tsunami cette immense vague qui déferla en 2004 dans l’océan Indien. Oui, la vague est là, oui la vague déferle, même si on n’y est pas tout à fait encore. Après, elle se retirera et on assistera à la décrue. Mais en Italie, ce n’est pas encore la décrue, et l’Espagne, elle, est sous la vague. L’Espagne est ravagée par la vague. Et tandis que le mot vague déferle sur les discours, d’autres mots se pointent, et notamment le mot résilience dans le dernier discours du Président de la France, la veille du deuxième week-end de vie sans vie. Résilience : le nom choisi pour l’opération de secours et d’intervention à grande échelle auprès de toutes les populations de la France, en métropole et dans les territoires d’outre-mer. Résilience, alors même que la vague arrive? Qu’elle n’est pas encore tout à fait là ? N’est-ce pas indécent ? Opportuniste ? N’est-ce pas comme un lapsus de communication ?

En Belgique, à l’Hôpital de la Citadelle à Liège, la cardiologue Sabrina Joaquim que  le quotidien Le Soir suit dans la chronique Carnet de bord d’une intensiviste propose un usage étonnant  du mot élégance: « Quand j’utilise le mot élégance, comprenez ce que cela contient d’humanité, de précision, de perfection dans le travail : c’est cela l’élégance du travail. L’humanité est essentielle : les visites des familles sont interdites pour l’instant, on marque une attention redoublée à l’humain car les patients ne voient que nous. » 

L’humanité : élégance du travail des soignants ?

« Le désespoir n’a pas de paires de jambes », écrit le poète roumain Gerashim Luca dans son poème intitulé Comment s’en sortir sans sortir ? Face au désespoir, nous ne sommes pas tous égaux. Car le désespoir règne dans les familles inquiètes pour leurs proches seuls à l’hôpital, le désespoir règne dans les familles qui ne peuvent être en contact avec leurs aînés dans les Ehpads. Et il envahit ceux qui ne peuvent rendre hommage aux morts et assister aux funérailles. Mais quand on vit à Marseille, dans une maison des quartiers Nord, entre intérieur et extérieur, non il ne s’agit pas de désespoir. Plutôt d’une légère atonie, comme si un couvercle avait été déposé sur notre vie. En ce début du deuxième week-end de vie sans vie du confinement, on se laisser glisser dans le temps sans projet. En ce début du deuxième week-end de vie sans vie, on redécouvre l’écoulement du temps.

Et le jardin ? 

Ces jours-ci, le jardin est confiné sous un ciel gris. Un ciel hivernal. Mais une légère lumière l’éclaire, une lumière qui n’est pas la lumière vive, écrasante du Sud. En ce début du deuxième week-end de vie sans vie, le ciel est gris, un gris léger. Rien de pesant dans ce gris du ciel sur le jardin provençal. Et quand on ouvre la fenêtre en fin de matinée, le gris a fait place au bleu…

Marcel Proust : « La vraie variété est dans cette plénitude d’éléments réels et inattendus, dans le rameau chargé de fleurs bleues qui s’élance, contre toute attente, de la haie printanière qui semblait déjà comble.»

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