#5 – Début de la deuxième semaine de vie sans vie: soyons humbles car la vague arrive

24 mars 2020

Lire Proust au temps du Coronavirus #5 – 24 mars 2020

Il faut faire preuve d’humilité, énonce un éminent infectiologue qui n’est pas de Marseille à la différence du savant fou, du génial fada Didier Raoult, à propos de l’affaire de la chloroquine qui occupe les écrans et les ondes en ce début de la deuxième semaine de vie sans vie. 

Après avoir crié tant et plus à la guerre, la première semaine de vie sans vie du confinement, soyons humbles à présent ! Car le temps sera long. Soyons humbles comme ce frêle coquelicot que notre ami nous envoie ce matin de la deuxième semaine de vie sans vie. Car combien de temps va-t-il pouvoir résister, ce premier coquelicot surgi un matin de printemps? Et il nous revient que dans peu de temps, les prairies de l’arrière-pays provençal seront envahies de ce rouges vermillon, de ce rouge absolu, d’un tapis léger, frémissant, de coquelicots dans le vent. Mais cette année, on ne verra pas les champs de coquelicots de l’arrière-pays provençal.

Au cours de la première semaine de vie sans vie du confinement, suite au discours du président de la France, le mot «guerre» s’était  répandu dans toutes les bouches. Guerre, guerre, guerre, nous sommes en guerre, souvenez-vous. En ce début de la deuxième semaine de vie sans vie, un autre mot nous arrive, et on le voit pointer au loin, celui-là, dans le désert de nos vies désormais bien installé. Car les villes sont vides et les rues sont silencieuses, tout est prêt, tout est en place pour qu’on le voie arriver ce mot tout au loin. Et on pense alors au Désert des Tartares de Dino Buzzati qui nous avait paru bien angoissant quand nous l’avions lu il y a quelques années. «Le tsunami est là, on y fait face avec un élan… magique», titre le quotidien belge Le Soir qui publie le témoignage d’une médecin cardiologue aux soins intensifs de l’hôpital La Citadelle de Liège. La médecin décrit une nouvelle sensorialité de la communication – et l’on songe encore à Proust, on y reviendra, puisqu’on a le temps. Elle décrit l’unité des soins intensifs où tout le personnel porte masque et lunettes et où l’on se reconnaît désormais aux yeux et à la voix. Elle indique que le contact avec les patients est lui aussi modifié, puisque les patients ne peuvent voir les expressions du visage. Alors le contact passe par la voix, par les intonations: «Nous faisons dès lors très attention à nos paroles, à chaque intonation de voix.» 

Soigner par la voix, soigner avec la voix… 

Et la cardiologue de conclure à propos de la vague qui arrive et que l’on voit pointer là-bas tout au loin: « Le sentiment qu’on a tous eu la semaine passée, c’était de se retrouver les pieds sur le sable, de voir la mer se retirer et de s’attendre à ce que nous revienne un tsunami auquel il allait falloir faire face. Là, on sent les premières gouttes, le tsunami est là ! Et on y fait face avec un élan humain… magique. Oui, magique. »

Et Proust dans tout ça ?

En ce début de la deuxième semaine de la vie sans vie du confinement, c’est le printemps, qui, aujourd’hui, a des allures d’hiver. Le frêle coquelicot envoyé par notre ami ce matin, et de savoir que nous ne verrons pas les champs écarlates des coquelicots dans quelques semaines, nous renvoient aux  pommiers en fleurs que le narrateur redécouvre au détour d’un chemin, dans Sodome et Gomorrhe :

« Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n’avais vu, avec ma grand’mère, au mois d’août, que les feuilles et comme l’emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d’un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu’on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l’horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d’estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s’écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants… Cette beauté vivante touchait jusqu’aux larmes parce que, si loin qu’on allait dans ses effets d’art raffiné, on sentait qu’elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne comme des paysans, sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l’horizon, enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l’averse qui tombait : c’était une journée de printemps. »

Cette journée du début de la deuxième semaine de vie sans vie du confinement  s’annonce elle aussi glaciale. Pourtant c’est bien  le printemps…

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