#4 – Deuxième jour du premier week-end de la vie sans vie du confinement. On a froid, on ne sort pas, la marée monte

22 mars 2020

Lire Proust au temps du coronavirus #4 – 22 mars 2020

Ce deuxième jour du premier week-end de la vie sans vie du confinement, on ne sort pas. Ce deuxième jour du premier week-end de la vie sans vie, on a froid, en dépit du soleil printanier qui illumine le jardin provençal.

Au matin de ce deuxième jour du premier week-end, on écoute France Inter et on apprend que l’Espagne se prépare à la guerre. L’Espagne se prépare à la guerre et à la grande vague, au tsunami qui va submerger le pays, et cette situation est inédite depuis la guerre civile. L’Espagne fourbit ses armes et étoffe les armées des soignants. En Allemagne, Angela Merkel affirme que «depuis la seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu de défi pour notre pays qui dépende autant de notre solidarité commune. » Le soir de ce deuxième jour du premier week-end, on apprend que la Chancelière a été placée en isolement.  

Le soir de ce deuxième jour du premier week-end de la vie sans vie du confinement, on regarde l’émission politique favorite du dimanche soir. Les journalistes sont confinés.  Chacun chez soi, l’un au milieu de son salon, l’autre le dos à la bibliothèque avec tous les livres bien rangés. On les voit apparaître à l’écran dans de petites fenêtres, et l’animateur orchestre l’émission depuis le bureau du maire d’une municipalité de la banlieue de Paris. Ce soir du deuxième jour du premier week-end, l’émission si animée d’habitude, semble bien vide et l’on se dit qu’au terme de cette première semaine de vie sans vie, l’info stagne. Il n’y a pas de pic, il n’y a pas encore de pic, on est dans l’attente du pic. L’info ressemble à un plateau un peu morne et au terme de cette première semaine de vie sans vie, on a le sentiment d’avoir déjà tout entendu. 

Au cours de ce deuxième jour du premier week-end, on regarde la vidéo où le professeur Didier Raoult aux cheveux longs, médecin-chef de l’IHU Méditerranée Infection de Marseille, que certains confrères considèrent comme le « fada » de Marseille, Didier Raoult dispense une conférence à propos de l’usage de la chloroquine. Il évoque Le Hussard sur le toit de Giono, roman qui se déroule à l’époque de la grande peste du choléra qui ravagea la Provence au XIXème siècle et qui  donna lieu à la construction d’un mur en pierres sèches dont les traces sont visibles dans le paysage provençal.  L’infectiologue raconte comment la contention du choléra n’a pas marché à Marseille. Il dit que ce qu’on doit faire en cas de maladies infectieuses, c’est diagnostiquer très vite : tester, détecter et  traiter. La longueur du portage viral est fondamentale : si une personne est porteuse, elle reste contagieuse pendant vingt jours si on ne la traite pas. La chloroquine permet une négativation du portage viral, au bout de six jours de traitement, le portage a diminué.  Et si on ajoute un antibiotique efficace contre les virus, la diminution est encore plus spectaculaire. 

Le soir de ce deuxième jour du premier week-end, on apprend que le professeur Raoult et son équipe invoquent le serment d’Hippocrate et leur devoir de médecin pour proposer le traitement à l’hydroxichloroquine à toute personne fébrile qui le demande. 

Et l’Italie ?  En Italie, légère, très légère décrue.

Décrue ? La vague se retirerait-elle ?  Au terme de ce premier week-end de confinement, l’Italie compte 650 morts, un peu moins que le jour d’avant. En Italie, des médecins cubains sont arrivés, c’est une image fugitive sur l’écran de la télévision, et les Russes envoient du matériel. Des soldats russes arrivent en renfort. Chine, Russie, Cuba, l’Europe a gardé ses respirateurs et ses lits de réanimation, chacun pour soi, chaque pays pour soi. L’Europe n’a pas porté assistance à l’Italie. On apprend aussi que le jour d’avant ce jour, des millions de masques ont été envoyés par la Chine à l’Italie et qu’ils ont été subtilisés par la République Tchèque où l’avion avait fait escale.

Et Proust alors ?  

Au matin du premier jour de la deuxième semaine, sur Inter, Claude Askolovitch évoque Proust le grand confiné dans sa chambre éclairée par une lampe de chevet. Il nous rappelle que Proust souffrait d’asthme. Un spécialiste de Proust confiné  lui aussi recommande de lire Proust à raison de cent pages par jour. Cent pages par jour ? Soyons humbles et modestes:  deux, trois, quatre ou cinq pages de Proust par jour suffisent à la tâche. Proust, on y reviendra donc dès demain, ou dès après-demain, on a le temps, on a tout le temps. Pour l’heure, justement, le narrateur est en prise avec le passage du temps. Car c’est le premier janvier, qui marque la possibilité  d’un temps nouveau : «J’eus la sensation et le pressentiment que le jour de l’an n’était pas un jour différent des autres, qu’il n’était pas le premier jour d’un monde nouveau», écrit Proust, «où j’aurais pu, avec une chance encore intacte, refaire la connaissance de Gilberte, comme au temps de la Création, comme s’il n’existait pas encore de passé, comme si eussent été anéanties, avec les indices qu’on aurait pu en tirer pour l’avenir, les déceptions qu’elle m’avait parfois causées : un nouveau monde où rien ne subsistât de l’ancien…»

Un nouveau monde où rien ne subsistât de l’ancien ?

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